Personnes sans domicile en contexte épidémique
Quels effets d’un hébergement longue durée sur leur bien-être et prise en charge ?
Thématique de recherche
S’il est avéré que les personnes précaires, sujettes aux comorbidités multiples, présentent des facteurs de risque pour des formes graves de Covid-19, peu d’informations, de connaissances et données sont aujourd’hui disponibles sur l’impact de ce virus sur les personnes vulnérabilisées sans domicile. Les données accessibles suggèrent que cet impact a été moins important qu’attendu. Mais elles ne sont pas exhaustives, et n’incluent pas celles et ceux qui ne disposaient pas de solution d’hébergement. Ces résultats vont dans le sens intuitif puisqu’ils rapportent que les hébergements collectifs de type dortoirs, gymnases[1] ou lits haltes soins santé (LHSS)[2] par exemple, favorisent la contamination, et mentionnent les nécessaires mesures intensives de prévention des infections et de réorganisation des solutions d’hébergement[3][4].
Quoi qu’il en soit, il est sûr que l’épidémie a changé le quotidien des personnes sans domicile et des acteurs leur venant en aide. Le premier confinement a été une réelle surprise à laquelle le secteur associatif, notamment, n’était pas initialement préparé. Du jour au lendemain, la majorité des distributions alimentaires s’est arrêtée et les associations, qui comptent souvent sur l’aide de personnes retraitées, ont manqué de bénévoles, dans un contexte déjà marqué par un nombre croissant de personnes sans domicile en France[5]
Lors du deuxième confinement, les structures d’accueil et les associations, davantage préparées, ont toutefois dû se conformer à certaines règles contraignantes pour les personnes sans domicile. Les accueils de jour, par exemple, n’ont pu recevoir autant de personnes qu’à l’accoutumée afin de maintenir les distanciations physiques. Aussi, pour limiter le risque de propagation du virus et tenter de respecter au mieux des mesures barrières particulièrement compliquées à appliquer, de nombreuses associations se sont recentré sur leurs missions essentielles, comme apporter de la nourriture[6]. Aussi, entre autres difficultés, certains centres d’hébergement d’urgence ont dû gérer une tension forte, notamment avec les personnes déjà psychologiquement fragiles ou sujettes à des addictions[7].
Cela dit, dans ce contexte de crise, nombre d’acteurs ont réussi à maintenir leurs dispositifs à destination de ces publics précarisés pour ne pas aggraver leur situation déjà très difficile, voire même à les renforcer[8].
Aussi, parce que « se rendre utile et servir les autres redevient profondément capital », cette crise sanitaire inédite représente l’occasion pour les salariés et les bénévoles d’associations et de structures sociales et de soin de « retrouver le sens de leur travail et leur engagement initial dans l’accompagnement des publics les plus précaires »[9]. Par ailleurs, l’urgence sanitaire et sociale durant le confinement a été vécue par certains professionnels comme un « épisode propice à l’expérimentation de nouvelles pratiques d’éducation à la santé, de soutien émotionnel et d’accompagnement social auprès des usagers », quand d’autres ont vu « se tisser des liens fonctionnels et/ou d’entraide entre professionnels de domaines techniques ou scientifiques différents et autour de contributions à la fois disparates et complémentaires »[10].
Tirer les leçons de cette crise inédite nécessitera certainement de « revenir sur les dilemmes de l’action publique »[11]. Cela consistera aussi à laisser une trace de ce « socle d’expériences réelles que la mémoire du groupe n’a pas encore oublié », de « cette ‘’fabrique’’ (au sens de bricolage) de certaines réussites, d’inventions et d’échecs », véritable « laboratoire de nouvelles pratiques […] pour l’action sanitaire et sociale de demain »[12]. Cet appel s’inscrit dans cette démarche.
Le CHAPSA
Le Centre d’Hébergement et d’Assistance aux Personnes Sans-Abri (CHAPSA) du Centre d’Accueil et de Soins Hospitaliers (CASH) de Nanterre, dans les Hauts-de-Seine, est ouvert 365 jours par an et propose un accueil inconditionnel, avec accès à la consultation médicale, à un accompagnement social, à l’accueil douche et à la bagagerie, pour répondre aux besoins des usagers. D’une capacité d’accueil de 257 personnes (dont 217 places à la nuitée et 40 en stabilisation), le CHAPSA accueille les usagers de 16h à 10h le lendemain. La consultation médicale et l’accueil douche sont ouverts aux personnes ayant passé la nuit au centre comme aux personnes se présentant en journée, sans avoir été hébergées. L’orientation vers le CHAPSA est assurée exclusivement par la Brigade d’assistance aux personnes sans-abri (BAPSA) de la Préfecture de Police, par la RATP – Accueil social, ainsi que par le Service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) Urgence/115.
La mise en place du premier confinement au printemps 2020 a fortement impacté le fonctionnement habituel du CHAPSA, dans la mesure où les personnes hébergées ont été présentes sans discontinuer pendant 55 jours.
Ce changement des modalités d’accueil a eu de multiples incidences sur la gestion de la sécurité des hébergés ainsi que des membres du personnel, comme sur la gestion des flux compte-tenu du droit des personnes à réaliser des déplacements autorisés par le cadre réglementaire, sur la restauration dans des conditions d’installations répondant aux nouvelles règles sanitaires et selon des aménagements dans le cadre du Ramadan, ou encore sur la couverture des besoins non pourvus[13], etc.
La présence continue des personnes hébergées durant le confinement a également impacté l’activité médico-soignante. La surveillance de l’état de santé était quotidienne par les équipes soignantes, impliquant prise de température, questionnaire et rappel des mesures barrières, isolement au fil des cas suspects/confirmés, suivi médical rapproché de la population présente qui n’était plus soumise aux aléas de la recherche d’un lieu d’hébergement pour la nuitée suivante, ce qui permettait un accompagnement plus satisfaisant.
Aussi, cette situation exceptionnelle a rendu possible la réalisation d’activités socio-éducatives auprès des hébergés. Certaines personnes étant en difficultés du fait de cet état de confinement, anxiogène, l’ensemble des travailleurs sociaux et professionnels de soins, psychologues, ont élaboré et mis en œuvre des activités à destination du public. Les usagers eux-mêmes ont pu être force de proposition puis accompagnés par les professionnels pour mettre en place des activités à leur initiative.
Avec la mise en place d’un 2ème confinement fin octobre 2020, ces actions ont été reproduites, avec déjà l’apport de l’expérience acquise lors du 1er confinement.
Cette situation inédite imposée par la crise sanitaire a de fait permis d’inscrire la prise en charge des personnes dans la durée, et donc de mieux travailler sur la restauration du soin de soi, voire l’estime de soi, dans le cadre d’une relation nouvelle plus accessible et pérenne entre hébergés et professionnels.
Or, dans les deux cas de confinement, du fait de l’urgence à réagir à la crise, il n’a pas été possible de documenter de façon structurée l’ensemble des actions d’adaptation, et surtout leurs effets positifs, tant sur le plan sanitaire (aucun décès à l’issue des deux confinements) que sur le plan de la situation des personnes hébergées (sortie des dispositifs, stabilisation de pathologies chroniques).
Un nécessaire retour d’expérience
Avec le soutien de la Fondation Croix-Rouge française, la Fondation Hospitalière pour la Recherche sur la Précarité et l’Exclusion sociale souhaite mettre en place un retour d’expérience sur la prise en charge des personnes sans domicile au CHAPSA de Nanterre au cours des deux confinements qui ont eu lieu en 2020, dans le contexte de la crise sanitaire du Covid-19.
L’objectif général est de mieux comprendre les effets d’un hébergement longue durée (ici « imposé » par les confinements) sur la restauration du soin de soi, voire l’estime de soi, pour les hébergés, mais aussi sur la création d’une relation nouvelle, inclusive, plus accessible et pérenne, entre professionnels et hébergés.
Cette démarche de retour d’expérience, qui sera réalisée auprès des usagers du CHAPSA de Nanterre et auprès des personnels soignants et encadrants, permettra de :
- documenter les actions mises en place et leurs effets, notamment sur la qualité des soins inscrits dans la durée pour les personnes hébergées, les nouvelles formes de socialisations rendues possibles (grande diversité de profils rassemblés), les temps mis à profit pour l’élaboration de projets individuels, et le temps thérapeutique pour la prise en charge de problèmes somatiques, psychiatriques, liés à des addictions, ou post-traumatiques ;
- mieux comprendre, structurer et catégoriser, au contact direct des acteurs, ces effets positifs induits, ce que les actions mises en place dans cette situation contrainte ont permis de démontrer sur les mérites d’une nouvelle approche de la relation avec les personnes sans-abri, comme par exemple de permettre l’expression des besoins des usagers, le renouvellement des pratiques médico-psycho-sociales, une relation inclusive, privilégiant les interactions humaines, individuelles et collectives ;
- proposer des recommandations d’actions à poursuivre ou augmenter à l’avenir, et pas seulement dans le cadre de l’urgence d’un éventuel nouveau reconfinement, des recommandations qui concerneront le CHAPSA de Nanterre mais aussi d’autres centres d’hébergement, afin de faire évoluer durablement les pratiques dans ces structures, au bénéfice des personnes sans domicile qui les fréquentent.
Le travail de terrain consistera notamment en la collecte de données qualitatives issues d’entretiens semi-directifs, en groupe et individuels, qui complèteront des données quantitatives de cadrage[14]. Ces entretiens concerneront tout autant les hébergés[15] que les professionnels[16], et la vidéo pourra être utilisée pour la captation de certains d’entre eux[17].
[1] Clément, Nicolas. « Contagieuses, les personnes sans domicile ? », Esprit, vol. décembre, no. 12, 2020, pp. 17-21.
[2] Rolland S., Rouzaud C., Wicky-Thisse M., Vargas-Gomez M., Le Teurnier M., Laconde C., Pasquet-Cadre A., « Gestion d’une épidémie de COVID-19 dans 3 centres d’hébergement collectif et de soins pour personnes précaires », Médecine et Maladies Infectieuses, Volume 50, Issue 6, Supplément, Septembre 2020, Page S70.
[3] Mosites E, Parker EM, Clarke KEN et al. Assessment of SARS-CoV-2 infection prevalence in homeless shelters—four US cities, March 27–April 15, 2020. MMWR Morb Mortal Wkly Rep. 2020 ; 69: 521-522
[4] Baggett TP, Keyes H, Sporn N, Gaeta JM, Prevalence of SARS-CoV-2 infection in residents of a large homeless shelter in Boston, JAMA. 2020 ; 3232191
[5] D’après les récents chiffres publiés par la Fondation Abbé Pierre, il y a 300.000 personnes sans domicile en France ; un nombre qui a doublé depuis le dernier décompte officiel de 2012. https://www.fondation-abbe-pierre.fr/actualites/pres-de-300-000-personn…
[6] Beton L., Retsin-Michel de Prévia C. « À Marseille, bénévoles et salariés racontent le confinement des plus précaires », The Conversation, 8 avril 2020.
[7] Rey-Lefebvre I. « Coronavirus : la tension devient forte dans certains centres d’hébergement d’urgence à cause du confinement », Le Monde, 02/04/2020.
[8] A titre d’exemple, les centres d’hébergement d’urgence sociale de la Croix-Rouge française, habituellement ouverts seulement la nuit, restent dorénavant ouverts 24 heures sur 24.
[9] Beton L., Retsin-Michel de Prévia C. « À Marseille, bénévoles et salariés racontent le confinement des plus précaires », The Conversation, 8 avril 2020.
[10] Nevissas O., Tinland A., Farnarier C., Mosnier E., Mosnier M. « Les personnes en situation de sans-abrisme face à la Covid-19 : étude sur des éléments d’une praxis humanitaire chez des acteurs associatifs de Marseille », Alternatives Humanitaires, N° 15, Novembre 2020.
[11] Julien Damon, Inconfinables ? Les sans-abri face au coronavirus, Les Éditions de l’Aube-Fondation Jean-Jaurès, Octobre 2020.
[12] Nevissas O., Tinland A., Farnarier C., Mosnier E., Mosnier M. « Les personnes en situation de sans-abrisme face à la Covid-19 : étude sur des éléments d’une praxis humanitaire chez des acteurs associatifs de Marseille », Alternatives Humanitaires, N° 15, Novembre 2020.
[13] Des produits de protection féminine, des vêtements, des cigarettes électroniques (issus de dons) ont pu être remis aux hébergés afin d’améliorer leurs conditions de séjour.
[14] Ces données quantitatives comprendront notamment les informations de profils des hébergés recueillis par le CHAPSA, ainsi que les éléments statistiques disponibles auprès des adresseurs vers le CHAPSA (Samu social, Brigade d’Assistance aux Personnes Sans Abri (BAPSA – Préfecture de Police) et Recueil social de la RATP).
[15] Identification de personnes « régulières » du lieu d’accueil, qui ont vécu l’un des confinements, ou les deux, et susceptibles de donner leur accord pour participer à la démarche, en collaboration avec les organismes adresseurs, en particulier le Samu social.
[16] Travailleurs sociaux, aides médico-psychologiques, éducateurs spécialisés, psychologues, personnels soignants, infirmiers, internes…
[17] Cette matière pourra être utilisée à la fois comme outil d’étude et comme banque d’images pour la communication finale sur le projet. Par ailleurs, des enregistrements audios durant le premier confinement ont déjà été menés avec les hébergés pour récupérer leur parole sur la façon dont ils vivaient cette expérience, mais ceux-ci n’ont pas encore été analysés, faute de temps et de ressources dédiées.
Zone géographique de recherche
La recherche aura lieu au Centre d’Hébergement et d’Assistance aux Personnes Sans-Abri (CHAPSA) du Centre d’Accueil et de Soins Hospitaliers (CASH) de Nanterre, dans les Hauts-de-Seine.