Bourse de recherche Perception des risques et cohésion sociale au Liban
Bourse de recherche (individuelle)
Nombre de bourse : 1
Montant : 24 000 €
Thématique de recherche
Nous assistons depuis plusieurs décennies à une augmentation importante du nombre de catastrophes. En effet, le nombre annuel moyen de catastrophes mesuré entre 1997 et 2017 est deux fois plus important qu’entre 1978 et 1997[1]. Chaque année, en moyenne, les catastrophes causées par des aléas naturels touchent 199 millions de personnes, causent 67 000 décès et font plonger 26 millions de personnes dans la pauvreté, selon le Centre de surveillance des déplacements internes (IDMC). Cette tendance à l’augmentation importante du nombre de catastrophes se confirme et semble même s’accentuer pour la décennie à venir[2]. De multiples facteurs sont en cause dans cette évolution : la croissance des populations, l’urbanisation, les changements d’utilisation des terres, mais également les changements climatiques.
Selon le World Disasters Report 2018, publié par la Fédération Internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, 3 751 catastrophes naturelles ont été enregistrées dans le monde ces 10 dernières années, dont 84 % étaient des aléas liés aux conditions météorologiques. Durant cette période, le nombre estimatif de personnes touchées par des aléas naturels est de 2 milliards, dont 95 % ont été touchées par des aléas liés aux conditions météorologiques, principalement des inondations (36,7 %) et des tempêtes (17 %). Le coût approximatif des dégâts générés par les catastrophes dans les 141 pays touchés dans le monde ces 10 dernières années s’élève à 1 658 milliards de dollars (US), dont 72,6 % sont imputables aux aléas liés aux conditions météorologiques, les tempêtes représentant à elles seules 41,7 % de ces coûts.
Les bouleversements climatiques et aléas naturels ont des conséquences qui dépassent largement les seuls impacts environnementaux. En 2015, à la veille de la COP21 de Paris, un rapport de la Banque mondiale confirmait par exemple le lien entre climat et pauvreté, un de ses auteurs affirmant que « 100 millions de personnes supplémentaires pourraient être pauvres en 2030 à cause du changement climatique si les politiques de développement adéquates ne sont pas adoptées ». La hausse continue des températures, l’augmentation de la fréquence des événements naturels extrêmes et de la pollution sont autant de facteurs qui, indéniablement, auront un impact sur les économies des pays les plus vulnérables, majoritairement agricoles et donc fortement dépendantes du climat. Aussi, le changement climatique exacerbe les conflits autour des ressources naturelles, obligeant les populations à des migrations forcées, qui par ailleurs tombent dans un vide juridique puisque le statut de réfugié climatique n’existe pas. Enfin, les catastrophes ont de terribles conséquences sur la santé. Ces conséquences sont multiples et affectent aussi bien directement les populations (décès, blessures, maladies, etc.) que l’organisation des sociétés (récoltes, accès à l’eau, l’électricité, etc.), mais aussi les systèmes de santé (accès des secours, approvisionnement de matériels médicaux, disponibilité de personnel qualifié, etc.). Entre 1998 et 2017, les catastrophes climatiques et géophysiques ont causé 1,3 million de morts et 4,4 milliards de personnes blessées, sans abris, déplacées, ou nécessitant une assistance urgente[3]. Ces chiffres sont amenés à croître dans les années à venir. En effet, d’ici à 2050, 200 millions de personnes pourraient chaque année avoir besoin de l’aide humanitaire internationale à cause, d’une part, des catastrophes climatiques et, d’autre part, des conséquences socioéconomiques des changements climatiques[4].
Tout cela engendre des crises humanitaires aux causes et modes de gestion spécifiques et dont la multiplication, selon toute prévision, amènera ONG, États, entreprises, institutions internationales à gérer des volumes d’opération en forte croissance à l’avenir. Ce contexte nouveau conduit les acteurs de la société civile et institutions internationales à repenser leur action dans l’optique d’une transition ou articulation plus poussée avec les objectifs du développement durable, et les pouvoirs publics locaux à opter pour des modes innovants de gestion des risques et des catastrophes (nouveaux mécanismes assurantiels, Disaster Risk Reduction) et de transition énergétique. Il est donc important de s’interroger sur ce que ces bouleversements environnementaux impliquent à la fois en termes de conséquences pour les populations ainsi qu’en termes de conception et de pratique de l’action humanitaire.
La réduction des risques de catastrophes est définie comme les « efforts méthodiques visant à analyser et à gérer les causes [des catastrophes], notamment par une réduction de l’exposition aux aléas et de la vulnérabilité des personnes et des biens, une gestion rationnelle des sols et de l’environnement et l’amélioration de la préparation aux événements indésirables »[5]. L’adoption du cadre de Sendai 2015-2030 par l’instance onusienne de la réduction des risques de catastrophes – l’UNDRR (United Nations Office for Disaster Risk Reduction) – a permis de fixer 4 priorités dont la première est de comprendre les risques de catastrophe et de reconnaître l’impact majeur des changements climatiques sur les populations. Ce volet inclut l’amélioration des systèmes de collecte, traitement, communication et diffusion des informations concernant les risques.
Un des défis majeurs actuels du secteur humanitaire consiste à élargir leurs pratiques en matière de gestion des risques de catastrophes, souvent cantonnées à la réponse et au relèvement, vers une approche plus intégrée incluant la préparation, la prévention et l’atténuation. En ce sens, il importe donc notamment de mieux comprendre et anticiper l’impact des programmes d’aide actuels et d’y intégrer les perceptions du risque et des capacités d’adaptation des populations. En effet, il est communément admis concernant les catastrophes causées par les aléas naturels que si les risques associés sont dus à des aléas peu maîtrisables, leur impact peut être atténué de plusieurs façons, notamment par une bonne préparation de la population. Cette préparation passe tout d’abord par la connaissance du risque et donc d’une compréhension de sa perception, élément clé d’une sensibilisation et d’une communication efficace, composantes essentielles des programmes de réduction des risques de catastrophes. Cependant, force est de constater qu’une population qui a connaissance d’un risque n’adapte pas toujours (de façon adéquate) son comportement pour y faire face.
L’identification et l’analyse des déterminants socioculturels qui influencent les comportements de prévention et de protection face aux risques naturels sont donc cruciales pour adapter les programmes de gestion des risques de catastrophes. Intégrer les logiques spécifiques de positionnement et d’adaptation aux catastrophes des populations exposées aux risques auprès desquelles les organisations d’aide humanitaire interviennent, permettrait d’avoir une action plus efficace et adaptée aux besoins. Or on ignore encore beaucoup de la façon dont les populations perçoivent les risques climatiques auxquels elles sont exposées, et les paramètres qui influent sur cette perception et l’adaptation des comportements.
Un programme d’action innovant : réduire les risques de catastrophes en renforçant la cohésion sociale
La Croix-Rouge française participe à la mise en œuvre d’un programme d’action de 4 ans, débuté en juin 2020, qui vise à renforcer la cohésion sociale et les relations entre les différentes communautés vivant sur les mêmes zones exposées aux risques de catastrophes[6].
Conçu en collaboration avec des acteurs institutionnels libanais, l’Unité de gestion des risques de catastrophe (DRM-U) et le Conseil national de la recherche scientifique (CNRS), et basé sur l’expérience de la Croix-Rouge libanaise (CRL) dans la gestion des risques de catastrophe au niveau communautaire, le projet vise à renforcer les capacités des acteurs libanais de première ligne dans la gestion des risques de catastrophe. L’objectif spécifique de ce projet est de soutenir la stratégie nationale de la DRM-U et de développer un modèle efficace et reproductible de gestion intégrée des risques dans deux bassins fluviaux. Ce modèle devrait permettre aux communautés et aux acteurs locaux de réduire leur vulnérabilité dans les zones sujettes aux inondations et d’améliorer leurs capacités de prévention, de préparation et d’intervention en cas d’inondation.
En raison du contexte particulier du Liban, ce projet vise particulièrement le renforcement de la cohésion sociale, et l’amélioration des relations entre les différentes communautés exposées aux risques de catastrophes. Dans les deux zones géographiques du projet, des tensions existent entre la population libanaise et les réfugiés syriens partageant le même environnement et exposés aux mêmes risques. Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) estime que la Bekaa est un gouvernorat préoccupant, où des incidents violents émergent, et que le Akkar connait des tendances similaires, bien que dans une moindre mesure.
Il est donc important que les communautés, les municipalités et les acteurs clés en charge de la réduction des risques de catastrophes possèdent des outils de préparation et des processus de réduction des risques adaptés aux besoins spécifiques des deux communautés et puissent coordonner leurs actions dans ce contexte spécifique. L’enjeu ici est donc de prendre en considération la cohésion sociale complexe entre les différents groupes dans les communautés ciblées afin d’assurer une communication efficace, adaptée et accessible à celles-ci, particulièrement pour ce qui concerne les aspects lies au changement de comportement en matière de gestion des risques de catastrophe. Il est en effet à craindre que les risques soient exacerbés par les conflits entre les réfugiés et les Libanais vivant dans les mêmes zones, et que dans le même temps ces conflits exacerbent potentiellement l’exposition aux risques pour les deux communautés.
Un des objectifs du programme est donc la mise en place de systèmes d’alerte précoce inclusifs permettant aux individus et les communautés menacées par les aléas à agir dans un délai suffisant et de manière appropriée. La communication des alertes dans le cadre de ce système doit atteindre les personnes à risque. Par conséquent, des messages adaptés et clairs contenant des informations simples et utiles sont essentiels pour permettre une anticipation et une réponse appropriées qui aideront à sauver des vies et moyens de subsistance. L’utilisation de plusieurs canaux de communication ainsi que celle de messages adaptes sont nécessaires pour s’assurer que le plus grand nombre de personnes possible est averti et sache agir concrètement pour éviter ou limiter le risque de catastrophe, en particulier dans les zones où des conflits existent entre les communautés.
En conséquence, la fonctionnalité d’un système « Alerte Précoce Action Précoce » nécessite de prendre en considération les facteurs qui peuvent influencer les comportements : valeurs, croyances, attitudes, préférences, habitudes, évaluations des coûts et avantages, normes sociales, politiques et institutions pour chacune des communautés ainsi que la cohésion sociale complexe entre les différents groupes sociaux.
Le volet recherche du programme
À cette fin, la Fondation Croix-Rouge française lance un appel à candidatures pour une bourse de recherche postdoctorale individuelle de 12 mois afin que, dans le cadre de ce programme, une étude socioanthropologique usant d’une approche qualitative sonde la perception des risques des Libanais et des réfugiés vivant au Liban dans un contexte de tension sociale élevée.
Cette recherche devra fournir une analyse de la structure et du tissu social de chaque communauté. Précisément, elle donnera des clés de compréhension de la cohésion sociale complexe entre les différents groupes dans les deux communautés ciblées, et de leur perception du risque et des différents facteurs qui peuvent influencer sur le comportement préventif ou en cas de survenue d’une catastrophe.
La perception du risque de danger varie considérablement selon les individus et les groupes sociaux. La recherche visera donc à identifier et analyser les déterminants sociodémographiques (âge, genre, handicap…) et socioculturels (appartenance ethnique, langue, milieu social…) qui influencent les comportements de prévention et de protection des populations face aux aléas naturels et plus particulièrement aux inondations (avant, pendant et après). Pour tout individu, l’estimation d’un risque n’est pas un exercice facile. Il faut tenir compte de nombreux éléments qui sont interdépendants : la nature des dangers, de l’occurrence et de l’impact potentiels des événements dangereux, de l’éventail des actions alternatives et des conséquences de chaque alternative possible, etc. Comment diffèrent les perceptions des risques des populations locales et celles des populations déplacées dans la zone du programme ? Dans quelle mesure le contexte de tension sociale entre communautés locales et déplacées influence la perception des risques des deux groupes et la bonne réussite des activités de sensibilisation ?
Ce travail de réflexion mené en parallèle à la mise en œuvre des activités sur le terrain fournira aux équipes du programme un espace de réflexion sur la pertinence et les modalités des actions menées selon les spécificités de chaque population ciblée qui pourraient amener une amélioration de relations entre les différentes communautés. Il permettra de formuler des recommandations adaptées pour ajuster les stratégies d’intervention et réorienter si besoin les activités en vue d’une optimisation des résultats. Il est ainsi attendu que les résultats de la recherche participent au processus de changement visé dans un certain nombre de conduites en fournissant des recommandations sur la manière d’adapter les outils selon les spécificités de chaque population ciblée et en proposant, le cas échéant, des orientations pour adapter la stratégie de sensibilisation visant un changement de comportements.
Précisément, les résultats de la recherche guideront la méthodologie et les activités du programme en tenant compte des éléments socioculturels décisifs dans la mise en œuvre des actions de prévention des inondations dans deux régions du Liban. Il est attendu que la recherche aide à bâtir les messages d’alerte précoce qui devront être compréhensibles et pratiques pour les deux communautés vivant dans la même zone (réfugiés et Libanais). Les résultats aideront à comprendre comment utiliser l’approche de réduction des risques de catastrophe dans un contexte de tensions sociales, comment les messages de sensibilisation peuvent être formulés et quels facteurs doivent être pris en compte pour que ces messages aient le plus grand impact sur ces communautés. En outre, les résultats de la recherche aideront à approfondir la réflexion des responsables du programme sur la manière dont un projet de réduction des risques de catastrophe peut participer à renforcer la stabilité et la cohésion sociales, et comment il peut être un levier potentiel pour la résolution de conflits. En contexte de tension sociale, quels sont les facteurs favorables à une meilleure cohésion sociale qu’il faut prendre en compte dans la mise en œuvre des activités de sensibilisation aux risques de catastrophes ?
Zone géographique de recherche
La recherche aura lieu au Liban. Les zones géographiques de recherche prioritaires sont la région de la Bekaa, le bassin de la rivière Ghzaille, la région de l’Akkar, le bassin de la rivière Ostouane, et les municipalités sélectionnées où les activités du programme seront mises en œuvre. Les noms de ces municipalités seront transmis ultérieurement au/à la candidat/e sélectionné/e.
Les pays ciblés constituent une entrée empirique pour les recherches. Ils ne correspondent en aucun cas aux nationalités d’éligibilité du candidat.
L’accès au terrain sera conditionné par une évaluation précise des risques remise lors de la candidature et mise à jour avant le départ en prenant soin de vérifier au préalable les recommandations du MEAE français.
Chaque lauréat bénéficiera en outre de :
• la possibilité de solliciter une aide financière pour les mobilités de terrain (pour un montant maximum de 1 000 euros)
• la possibilité de solliciter une participation aux frais d’assurance liés au terrain (pour un montant maximum de 500 euros)
• suivi scientifique et tutorat personnalisés
• accompagnement dans la valorisation des résultats de la recherche (traduction en anglais, publication sur ce site, soutien pour publier dans des revues d’excellence et notamment dans la revue Alternatives humanitaires, participation aux Rencontres de la Fondation)
• abonnement d’un an à la revue Alternatives humanitaires
• une adhésion d’un an à l’International Humanitarian Studies Association (IHSA)