Droits, libertés, Justice et gouvernement en temps de crise(s)
Droits, libertés, Justice et gouvernement en temps de crise(s)
Crise sanitaire, crise sécuritaire, crise économique, crise financière, crise environnementale, crise démocratique, crise migratoire... Les exemples ne manquent pas pour souligner combien la crise a envahi le vocabulaire politique et médiatique. Si les évènements liés à la pandémie de covid-19 tendent à le raviver, un tel constat pourtant ne date pas d’hier. Ainsi, Edgar Morin écrivait-il en 1976 que « la notion de crise s’est répandue au XXe siècle à tous les horizons de la conscience contemporaine », associant plus largement comme d’autres auteurs par la suite le phénomène des crises à la modernité.
Définie couramment comme une période ou situation de trouble ou de bouleversement dans la vie d’un groupe, ou encore une phase critique de son évolution, la crise a pénétré également le lexique des sciences sociales, mais au prix toutefois d’un délitement de la notion. Aussi, un certain nombre de travaux récents ont entrepris d’en faire une critique permettant de révéler au passage les enjeux de l’invocation omniprésente d’un tel concept. Comme le pointe Janet Roitman dans un ouvrage au titre évocateur, « la crise est inévitablement (bien que souvent implicitement) pensée à travers une norme, et ce pour construire un jugement comparatif », ce qui amène l’auteure à envisager ce concept comme « un point aveugle permettant la production de savoirs, c’est-à-dire une caractéristique qui rend certaines choses visibles et d’autres invisibles. » Dans le prolongement de cette réflexion, Sara Angeli Aguiton, Lydie Cabane et Lise Cornilleau invitent les chercheurs à se saisir des crises sous l’angle des politiques de « mise en crise » qui désignent à la fois la « fabrique des crises » en tant que construction d’énoncés et diagnostics de crise et le « gouvernement des crises » comme « ensemble d’actions spécifiques mises en œuvre pour intervenir sur ce qui a été défini comme crise ». Dans le même ordre d’idées, selon Brian Milstein, la « grammaire de la crise » nous informe ainsi sur la manière dont nous concevons l’action politique et le changement social, et, suivant l’analyse de Natacha Ordioni, l’usage récurrent de la crise va alors « de pair avec sa personnification et son instrumentalisation, notamment en contribuant à diluer la chaîne des responsabilités engagées ».
Dans la lignée de ces différentes analyses, cet appel à projets de recherche « Droit, libertés, Justice et gouvernement en temps de crise(s) » invite à prendre de la hauteur face aux crises et à porter une réflexion transdisciplinaire sur ce que les crises font au droit, aux libertés et à la Justice, aux conceptions de la responsabilité publique ou privée, et, aux modes de gouvernement aussi bien à l’échelon local, que national et transnational.
- Crise(s) et État de droit
- Crise(s) et responsabilité
- Crise(s), gouvernement et action publique
Attentes
Dans une perspective réflexive et analytique, pluridisciplinaire et comparée, il s’agit de prendre la dimension de l’impact des crises sur les développements du droit, le fonctionnement de la Justice, la mise en œuvre de la responsabilité et les normes et modalités du gouvernement et de l’action publique.
Par des études empiriques croisant les outils du droit, des sciences politique et administrative, de la sociologie et l’anthropologie, de l’histoire, de la philosophie, de la psychologie sociale, des sciences de la communication, ou bien encore de l’économie et des sciences de gestion, il s’agit de se donner du recul face aux crises pour comprendre dans quelle mesure les récits qui les sous-tendent et les politiques qui les accompagnent menacent l’État de droit démocratique, diluent les responsabilités des décideurs et contribuent à une trans-formation radicale des principes et des modes de gouvernement, par une analyse critique des normes et des représentations qu’elles mettent en jeu et un examen des configurations d’acteurs qu’elles mobilisent et mettent en lutte.